Faire prévaloir le droit sur la force : un appel à la paix de Roland Nivet

sept. 21, 2025 · 8 min. de lecture

La question fondamentale est de faire prévaloir le droit sur la force

Roland Nivet, porte-parole national du Mouvement de la Paix, a accepté de répondre aux questions d’Enjeux. Le Mouvement de la Paix https://www.mvtpaix.org/wordpress/lemouvementdelapaix/ est une ONG créée en 1948 et agréée « Association nationale de jeunesse et d’éducation populaire ». Il agit pour le désarmement, en particulier nucléaire, mais aussi contre la production et les transferts d’armements, pour la réduction des budgets militaires.

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La situation internationale et la multiplication des guerres

Enjeux-UA : Quel regard le mouvement de la paix porte-t-il sur la situation internationale et notamment sur les guerres qui semblent se multiplier ?

Roland Nivet : Les mots manquent pour qualifier la situation internationale en particulier au Moyen-Orient avec le processus génocidaire en cours à Gaza, les centaines de milliers de morts dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais aussi les conflits en Afrique dans la région des Grands Lacs ou au Soudan. Crimes de guerre, crimes contre l’humanité crimes génocidaires : le monde est en train de plonger dans la barbarie. Nous sommes arrivés à un stade où c’est notre humanité commune qui est en cause à travers le massacre des innocents, dont des femmes et des enfants compris. 60 millions d’êtres humains en 2023 sont morts de la faim, des conséquences de la faim, et de la misère extrême dans les 120 pays les moins développés, soit le total des victimes civiles et militaires pendant six ans de la Deuxième guerre mondiale. Par ailleurs fuyant les guerres, la misère etc., des dizaines de milliers de personnes sont contraintes de prendre le chemin de l’exil et souvent de la mort comme les milliers de noyés en Méditerranée. Et la crise climatique se poursuit et s’approfondit. Elle nécessite des réformes profondes au plan économique, industriel et social avec des besoins énormes en ressources financières et humaines. Or les dépenses militaires du monde sont passées de 1 000 milliards de dollars en l’an 2000 à 2 400 milliards en 2023. En France, pourtant un des pays les plus riches au monde, les secteurs de la santé, de l’éducation, de la petite enfance, de la jeunesse ou des personnes âgées connaissent de grosses difficultés car les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins. Pourtant le gouvernement actuel a déjà doublé les crédits militaires entre deux lois de programmation militaire. Un autre danger - bien réel - réside dans la possible utilisation des armes nucléaires dans les conflits actuels et dans la fragilisation des dispositifs juridiques qui ont été mis en place pour la limitation de ces armes et leur élimination. Même si les mobilisations au plan mondial ont permis de gagner le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) entré en vigueur en janvier 2021, qui vient conforter le traité de non-prolifération (TNP), les neuf États qui possèdent des armes nucléaires n’ont pas signé ce traité et continuent la modernisation de ces armes. La France a doublé le budget consacré aux armes nucléaires qui est passé de 3.5 à 7 milliards par an. Poutine et son gouvernement ont annoncé à plusieurs reprises la possibilité d’utiliser les armes nucléaires russes. L’instauration d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen Orient prévue en 2015 par les Nations Unies n’a toujours pas connu un début de commencement de négociation. L’instauration de cette ZEAN est urgente, car la possession de l’arme nucléaire par Israël et peut-être demain par l’Iran constitue un facteur d’exacerbation des tensions et des logiques de guerre, un danger réel et un obstacle pour l’instauration de dialogues sur une sécurité commune dans la région. Enfin le conflit entre le Pakistan et l’Inde, deux pays dotés de l’arme nucléaire, se ravive dangereusement. Alors que les solutions sont à rechercher dans la construction d’un autre monde possible, un monde de justice, de solidarité, de fraternité et de paix ce sont les forces d’extrême droite qui se développent un peu partout dans le monde et se coalisent.

Face à ce contexte global dès novembre 2024 nous avons lancé un appel « Pour une insurrection mondiale des consciences, pour créer en France et dans le monde, une dynamique unitaire en faveur de la paix ». Nous y soulignons que « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » et qu’un sursaut citoyen et démocratique est nécessaire pour créer en France et dans le monde une dynamique unitaire en faveur de la paix, car il n’y a pas d’autre chemin que celui de la paix pour faire face aux grands problèmes de l’humanité aujourd’hui.

Comment porter l’objectif d’une paix durable ?

Enjeux-UA : Comment porter l’objectif d’une paix qui ne se traduise pas par la victoire des agresseurs ?

Roland Nivet : Le sursaut auquel nous appelons a aussi comme objectif d’obtenir que la Charte des Nations unies et le multilatéralisme dont elle est la source et plus largement le droit international, soient réellement mis en œuvre et disposent des moyens de prévention et de coercition contre les agresseurs en cas d’agression. Les Nations unies, créées pour prévenir les conflits et empêcher les guerres, sont dans l’incapacité de faire respecter le droit international et la Charte des nations unies. Les condamnations sont là y compris par la cour internationale de justice tant pour la Russie qu’envers les dirigeants d’Israël et du Hamas. Mais les Nations unies sont bloquées car les cinq membres permanents du conseil de sécurité utilisent le droit de veto pour empêcher la mise en œuvre réelle de sanctions ou la mise en œuvre de moyens militaires tels que des forces d’interposition pour protéger les populations civiles victimes des agressions. La question fondamentale est de faire prévaloir le droit sur la force. À cet égard Elias Sanbar, ancien représentant de la Palestine à l’Unesco, alerte sur le fait « que le déni des droits des Palestiniens est lourd de dangers au premier rang desquels celui de la fin de l’ordre international né en 1948 avec l’objectif du plus jamais ça ». Jean Ziegler, ancien responsable du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) estime que « les Nations Unies sont, et tout particulièrement pour tout ce qui touche aux droits humains et à la sécurité collective, indispensables à la survie de l’humanité ».

Réarmement : utile ou contre-productif ?

Enjeux-UA : Tout réarmement est-il selon vous inutile voire contre-productif, dans le cadre français ou européen ?

Roland Nivet : Nous sommes partisans de la stratégie du double balancier pour essayer de revenir vers un monde plus vivable afin de construire une Europe de paix et de coopérations. Cette stratégie consiste à augmenter les moyens alloués aux outils non militaires et une diminution progressive des moyens militaires pour revenir au respect de l’article 26 de la charte des Nations Unies qui prévoit « de favoriser l’établissement et le maintien de la paix et de la sécurité internationales en ne détournant vers les armements que le minimum des ressources humaines et économiques du monde » Nous ne sommes pas contre l’existence d’outils militaires, ni contre le fait que les outils diplomatiques ou militaires puissent faire l’objet d’accords internationaux au niveau de l’UE, mais à condition qu’ils respectent la Charte des Nations unies et que ces accords aillent dans le sens de la construction d’une sécurité humaine basée sur le respect des droits humains et la satisfaction des besoins des populations et des peuples, la résolution diplomatique des conflits. À cet égard le respect de la charte des Nations unies implique la non-création d’alliances militaires ou la suppression d’alliances militaires comme l’OTAN qui sont contraire à la lettre et à l’esprit de la charte. Par contre il faut réactiver et donner des moyens à la conférence sur la sécurité commune en Europe, et l’ouvrir à tous les pays de l’Europe géographique dans l’esprit qui a prévalu en 1975 avec les accords d’Helsinki. La résolution des Nations unies pour la culture de la paix constitue une réponse concrète construite par l’ONU et surtout par l’UNESCO à travers des réflexions importantes conduites avec les O.N.G. et les syndicats, la société civile pour construire un monde de paix, plus juste plus solidaire. Cette résolution devrait faire l’objet de formations prises en charge pas seulement par les ONG - elles n’en ont pas les moyens - mais par l’État via des outils institutionnels comme par exemple une mission interministérielle pour la paix au plan gouvernemental, un observatoire des situations préconflictuelles, la création d’un institut national de recherche et d’éducation à la paix pluridisciplinaire ayant le statut de EPSCT (Établissement public à caractère scientifique et technologique), un institut national pour une citoyenneté active en faveur de la paix décentralisé dans des maisons régionales comme existent actuellement des maisons de l’environnement. Envisager une économie pour la paix ne peut se réduire à une simple reconversion ou une diversification des activités liées à la guerre ou la production d’outils militaires. Il faut aller vers des transformations économiques, sociales, politiques beaucoup plus profondes. Il faut construire une économie pour la paix par un double mouvement de diminution des dépenses militaires au plan mondial et donc aussi national et surtout une augmentation des dépenses liées à la réduction des inégalités entre comme au sein des États c’est-à-dire par des investissements en faveur du bien-être humain et de la paix. Dans le même temps, des initiatives politiques doivent être prises au plan international dans les domaines financiers, économiques, culturels, diplomatiques et pour la construction de mécanismes de sécurité collective. En Europe par exemple reproposer une conférence de sécurité collective de type Helsinki et ce malgré la guerre actuelle en Ukraine. Les États du CELAC c’est-à-dire la coordination des États latino-américains et des Caraïbes a introduit la culture de la paix comme un élément essentiel de la sécurité collective pour ces États. Un exemple à suivre. Même si les mobilisations populaires ne sont pas aussi fortes qu’au moment de la guerre en Irak, l’espoir est dans la mobilisation populaire au plan mondial en faveur de la mise en œuvre des droits humains et du premier d’entre eux le droit de chaque humain à la vie et de vivre en paix dans le respect du droit international et des objectifs fixés par la Charte.

Propos recueillis par Matthieu Leiritz

ENJEUX
Auteurs
Revue d’unité action
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