L’injustice en héritage : Repenser la transmission du patrimoine

L’injustice en héritage Repenser la transmission du patrimoine
Mélanie Plouviez est philosophe, maîtresse de conférences à l’université Côte d’Azur. Spécialiste de la philosophie sociale et politique du XIXe siècle, elle coordonne le projet PHILHERIT / Philosophie de l’héritage, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Pour la sortie de son livre « L’injustice en héritage : repenser la transmission du patrimoine », elle a bien voulu répondre aux questions d’Enjeux.

Héritage et droit successoral
Enjeux-UA : Dans ce livre, vous nous présentez les idées qui ont prévalu pour l’instauration du droit successoral à la Révolution française, règles qui régissent en grande partie l’héritage actuellement. Vous développez également le foisonnement de pensées alternatives tout au long du XIXe siècle jusqu’à la première guerre mondiale pour remettre en cause l’héritage familial et la société des héritiers. Au XXe siècle, la France est-elle sortie en partie de cette société des héritiers ?
Mélanie Plouviez : Non, mais il y a eu une régression du poids de l’héritage au XXe siècle. Entre la 1re guerre mondiale et les années 1970, l’héritage détenait un poids moindre qu’au XIXe siècle et qu’aujourd’hui, au point que les générations arrivées sur le marché du travail dans les années cinquante, ont pu penser que c’en était fini de l’héritage familial. Par les seuls revenus de leur travail et de leur épargne, nos grands-parents se constituaient un patrimoine en accédant à un logement. Avec les destructions de capitaux privés lors des guerres mondiales, mais aussi avec une fiscalité successorale fortement progressive, le poids de l’héritage familial a fortement diminué. L’effritement de cette progressivité est une des explications de l’importance de son retour. Officiellement, les taux d’imposition, la progressivité et l’assiette n’ont pas changé, mais ont été mises en place diverses exemptions et exonérations qui constituent autant de niches fiscales qui mitent légalement la progressivité de l’impôt. Ces changements ont des conséquences concrètes pour les salariés : sans aide familiale, même en gagnant correctement leur vie, des personnes sont dans l’impossibilité d’accéder à certaines positions patrimoniales comme avoir un logement de taille décente, constat à Paris ou dans les grandes métropoles en France. Autre conséquence, les diplômes s’en trouvent dévalorisés. Une phrase synthétise notre société actuelle « Mieux vaut hériter que travailler ! »
Héritage : quel apport des penseurs du XIXe siècle ?
Enjeux-UA : Actuellement, face aux écarts patrimoniaux qui s’accentuent et que certaines lois tentent de diminuer (loi Zucman), quel pourrait être l’apport des penseurs du XIXe siècle sur l’héritage ?
Mélanie Plouviez : En France, dans l’ordre économique, nous sommes dans une situation avec peu d’écart en terme patrimonial. Par contre, dans l’ordre théorique, les contrastes sont frappants avec le XIXe siècle. On ne cessait d’interroger la légitimité de la transmission du patrimoine quel que soit le bord politique. À partir de fonds numérisés de la BNF sur le XIXe siècle, j’ai construit une base de données textuelle de plus de 100 000 livres sur le sujet. Aujourd’hui, on se pose la question du plus ou moins d’impôts mais est-il juste de transférer son patrimoine à ses enfants ? Nous sommes quelques-uns à écrire sur le sujet et peu ont mis côte à côte Fichte, les saints-simoniens et Durkheim. Ces auteurs ne sont pas des collectivistes et ils ne se considéraient pas comme radicaux, pourtant leurs propositions sur l’héritage le sont pour nous. Pour eux, la propriété privée est un fondement de notre société et même une des caractéristiques de la modernité. Durkheim donne une définition simple de celle-ci : « La propriété individuelle est la propriété qui commence et qui finit avec l’individu » mais elle est un bouleversement complet de nos représentations car il s’agit de l’interroger après la mort. À notre décès, nous ne sommes plus propriétaires et rien ne légitime une quelconque décision du propriétaire sur ce que vont devenir ses biens. La loi définit les règles successorales en France et d’autres lois pourraient faire autrement, comme aux États-Unis par exemple.
Propos recueillis par Thierry Quétu l