Autour de la « réforme » des retraites

juin 20, 2025 · 9 min. de lecture

Autour de la « réforme » des retraites

Si la FSU a été scandaleusement écartée du « conclave » entre syndicats et patronat sur la réforme des retraites, lequel précède un débat devant le parlement cette fois ci, on l’espère sans recours au 49.3, le contexte international laisse craindre de nouvelles régressions pour le monde du travail, actifs et retraités, public comme privé. Enjeux a organisé une table ronde sur cette question, à laquelle ont bien voulu participer plusieurs camarades, que nous remercions : Aurélie GAGNIER (FSU-SNUIpp, Sébastien BEORCHIA (SNEP-FSU), Eric DUFLOS (SNES-FSU), Erick STAELEN (SNES-FSU, représentant FSU au COR) et Laurent TRAMONI (SNES-FSU) qui a animé le débat.

Pourquoi rouvrir le dossier de la réforme ?

Enjeux-UA : Pourquoi le Premier ministre François Bayrou a-t-il accepté de rouvrir le dossier de la réforme des retraites de 2023 ? Les syndicats de la FSU sont-ils satisfaits du cadre de discussion, la “délégation paritaire permanente” suivi d’un retour devant le Parlement. Que veulent porter les syndicats de la FSU comme revendications dans ce débat ?

Sebastien Beorchia : Les trois raisons se conjuguent. Le rapport de forces de 2023, le soutien de l’opinion publique, toujours majoritairement opposée aux 64 ans, sont toujours présents. Le gouvernement Barnier a été censuré sur la PLFSS, qui inclut les retraites. En 2019, en partie en raison du covid mais surtout grâce aux mobilisations, le système par points n’a pas été mis en place, et le gouvernement a toujours cet objectif, avec également le passage d’un système par répartition à une approche assurantielle. Le dernier rapport du COR ramène le déficit de 50 milliards annoncés à 15.

Aurélie Gagnier : Les questions de déficit sont toujours présentes dans l’esprit de nos gouvernants, comme le montrent les chiffres exagérés que présente Bayrou sur le déficit lié aux pensions des fonctionnaires. Il y a sans doute aussi des arrières-pensées personnelles de la part de politiques qui veulent rester dans l’histoire, comme ayant trouvé « la » solution au financement des retraites…

Erick Staelen : Bayrou fait la même faute que Macron en 2019 en écartant les organisations représentatives de la fonction publique comme la FSU et l’UNSA, car ils n’acceptent pas de considérer qu’il s’agit d’un enjeu de société qui concerne tout le monde. Que le dialogue social précède la loi très bien, mais encore faudra-t-il que l’accord, si accord il y a, soit repris dans la Loi.

Laurent Tramoni : On ne peut qu’être sceptique sur la possibilité d’un accord avec le MEDEF, qui peut aussi s’appuyer sur les rapports de forces actuels au sein du parlement. Les salariés devront s’en mêler quoi qu’il en soit. Le système de répartition est un rempart contre la marchandisation de la protection sociale. Comment aller vers l’égalité entre femmes et hommes ?

Sebastien Beorchia : La question pour la FSU est celle de la place du travail dans la vie, les différents temps de la vie ainsi que le partage des richesses et l’égalité du niveau de vie. Il s’agit également du modèle de société que nous voulons avec la dimension sociale de la prise en charge des besoins essentiels. C’est pourquoi nous demeurons attachés à la retraite à 60 ans et au système par répartition.

Résorber les inégalités entre femmes et hommes

Enjeux-UA : Comment résorber les inégalités entre les femmes et les hommes à la retraite ?

Erick Staelen : La retraite, ce n’est pas qu’une question financière. C’est aussi une question de solidarité, par exemple avec les droits familiaux et les droits conjugaux, qui permettent de compenser les charges familiales que supportent les femmes, les écartent du salariat ou les contraignent à des carrières hachées et sous-rémunérées. Le 20 mars est prévue une réunion du COR sur les droits conjugaux et familiaux.

Sebastien Beorchia : Les écarts de pensions sont bien réels, y compris dans la FP. Ils résultent des écarts de carrière. Il est important d’obtenir le rétablissement des droits familiaux tout en résorbant les inégalités sur la vie active. Les statistiques prouvent que ce sont dans les métiers les plus féminisés que les salaires augmentent le moins.

Aurélie Gagnier : La compensation ne suffit pas en effet, il faut dans le même temps valoriser tous les métiers, y compris ceux qui sont largement féminisés, comme les AESH. La répartition des tâches au sein du foyer et l’accès à la vie active amènent à réinterroger globalement la place que devraient avoir les femmes dans la société.

Erick Staelen : C’est un peu dans l’air conservateur du temps, les femmes qui auraient choisi de ne pas arrêter de travailler par exemple après une maternité n’auraient donc pas besoin de dispositifs de compensation… Ainsi se dessine le portrait de femmes corvéables à merci.

Dépenses de retraites : hors de contrôle ?

Enjeux-UA : Les dépenses de retraites sont-elles hors de contrôle? Quelles sont les raisons des déficits prévus à l’avenir ?

Eric Duflos : Les différents rapports du COR montrent qu’il n’y pas d’explosion des dépenses, que les prestations sont encadrées, et que ce sont les ressources qui creusent les déficits du fait du manque volontaire d’affectation de ressources au profit de politiques qui prétendent favoriser la compétitivité par des exonérations de cotisation : 163 milliards d’argent public sous forme d’exonérations de cotisations et de subventions accordées aux entreprises sans contreparties.

Erick Staelen : La réforme 2023 a été réalisée alors que le système des retraites était excédentaire en 2022 et 2023. Il s’agit surtout de contraindre les salariés à consacrer plus de temps au travail pour créer de la richesse dans un contexte de stagnation de la productivité du travail.

Sebastien Beorchia : Il s’agit également de baisser les prestations pour contraindre les salariés à se tourner vers des dispositifs assurantiels marchandisés

Le code des pensions et les 60 ans

Enjeux-UA : Que pensent aujourd’hui les syndicats de la FSU du code des pensions, et de retraites assises pour l’essentiel sur le dernier traitement indiciaire ? Pourquoi êtes-vous toujours attachés aux 60 ans et aux 75% ?

Eric Duflos : Ces régimes différents assurent une égalité de traitement entre des salariés aux conditions différentes (cf rapport du COR). Le code des pensions est un élément du statut des fonctionnaires qui prévoit un traitement continué au-delà de la période d’activité, pour que la puissance s’assure le service de fonctionnaires loyaux. « L’équité entre les assurés ne passe pas nécessairement par l’identité des règles et des règles identiques appliquées à des publics différents ne sont pas toujours une garantie d’équité.» indique le 7è rapport du COR, 27 janvier 2010.

Sebastien Beorchia : Les 60 ans, cela renvoie à la question des temps de la vie. Quant aux 75%, c’est la question du maintien du niveau de vie au moment du passage à la retraite.

Laurent Tramoni : l’action syndicale a permis des progrès dans l’égalité femmes hommes dans la fonction publique, d’où des inégalités moins fortes que dans le privé. Mais l’essentiel reste à faire pour gagner l’égalité.

Carrière complète à 60 ans : qu’est-ce que cela signifie ?

Enjeux-UA : La plupart des organisations ne raisonnent plus en terme d’annuités mais de carrière complète à 60 ans. Que cela signifie-t-il ?

Sebastien Beorchia : Les 37,5 peuvent générer de la décote, a fortiori si on obtient le retour à un âge légal à 60 ans. Ce qui impacte le plus le montant des pensions, c’est la décote. Il faut en sortir.

Aurélie Gagnier : Les études se sont allongées. Nous demandons qu’elles soient prises en compte. La société a évolué. Au concours de PE (professeurs des écoles), 12 % de candidats reçus sont sans emploi. Même avec la prise en compte des années d’étude, les carrières sont appelés à être incomplètes.

Laurent Tramoni : certains syndicats réfléchissent à obtenir qu’à 60 ans une carrière soit présumée complète, en y intégrant les études, les périodes de chômage, les aléas de la vie professionnelle, sauf cas exceptionnels.

Erick Staelen : Les deux bornes indispensables sont l’âge et le niveau de vie, ainsi la questions des droits familiaux et conjugaux deviendrait inutile si la carrière est réputée complète. La seule bonne question à se poser est : quel niveau de vie garantir aux retraités ?

Répartition des richesses et niveau de vie des retraités

Enjeux-UA : Est-il possible d’assurer une répartition des richesses produites qui permette un maintien de la parité de niveau de vie entre actifs et retraités?

Erick Staelen : Alors que le nombre de retraités va augmenter, les pouvoir publiques ne veulent pas consacrer de richesses au financement de cet âge de la vie. Pourtant au cours du XXé siècle, il a été possible de passer de 5% du PIB dans les années 70 à 13,5% aujourd’hui. Cela a permis de faire baisser le taux de pauvreté des plus 65 ans. Qui pourrait accepter que l’on revienne sur ces évolutions ?

Comment financer les retraites en France ?

Enjeux-UA : Comment financer les systèmes de retraite en France aujourd’hui ?

Aurélie Gagnier : On augmente les rémunérations, en revalorisant le point d’indice, en alignant le salaire des femmes sur celui des hommes, en ayant des politiques publiques favorables à l’emploi et en revenant sur les politique d’exonération de cotisations sociales, dont le rapport Bozio-Wasmer montre l’inefficacité. Il s’agit par ailleurs de lutter contre la fraude fiscale.

Augmenter les cotisations : est-ce possible ?

Enjeux-UA : Augmenter les cotisations, est-ce crédible ? Est-ce possible ? Quelles seraient les conséquences sur la compétitivité de l’économie française et sur l’emploi ?

Eric Duflos : Mickaël Zemmour montre qu’en augmentant chaque année pendant 7 ans les cotisations sociales de 0,15 points par an, on résout le déficit annoncé à l’horizon 2035, ce qui est tout à fait supportable socialement. C’est d’ailleurs ce qui vient de ce produire durant les 10 dernières années pour les fonctionnaires (passage de 7,85% à 11,1%).

Stratégie et actions de la FSU

Enjeux-UA : Quelles sont les actions et la stratégie que les syndicats de la FSU entendent mettre en oeuvre pour avancer sur ces revendications, sur la retraite et plus largement sur la sécurité sociale ?

Erick Staelen : Il n’y aura pas de solution sans une implication des salariés, comme on l’a vu en 2023. Cela suppose une unité syndicale dans l’action pour contrer les mauvais coups.

Aurélie Gagnier : Les 80 ans de la sécurité sociale nous offrent l’opportunité de sensibiliser les salariés sur les enjeux de la protection sociale au sens large. La FSU doit expliquer, informer, former et conscientiser.

Propos recueillis par Matthieu Leiritz

ENJEUX
Auteurs
Revue d’unité action
Pour Unité et Action, l’enjeu est de construire des formes d’action qui en permettant de faire progresser le quotidien des salarié.es, des agent.es, des retraité.es, permet également d’ouvrir la voie à une vraie dynamique de transformation sociale de progrès et de justice.