Moyen Orient
Moyen-Orient : Regard sur un conflit centenaire
Alors que le conflit israélo-palestinien connaît pour la première fois depuis les massacres du 7 octobre un bref répit, le gouvernement israélien maintient une forte pression sur la population palestinienne de Gaza. Aux morts et blessés par milliers, aux destructions massives s’ajoute un renforcement de la répression dans l’ensemble de la Cisjordanie occupée. Quelles pourraient être les pistes de sortie du conflit ?
Les conditions d’une paix juste et durable existent-elles encore ? Existe-t-il un risque de voir le rêve de l’extrême Droite israélienne d’une expulsion massive des Palestiniens, dans une logique de nettoyage ethnique, devenir réalité?
Xavier Guignard, chercheur et enseignant en science politique, spécialiste de la Palestine où il a conduit des enquêtes de plusieurs années depuis 2012, vient de publier avec la graphiste Alizée de Pin, Comprendre la Palestine, Une enquête graphique, aux éditions Les Arènes ( 2025). Lauréat de plusieurs prix et bourses pour ses recherches et ses publications, il a enseigné à l’université Al-Quds, à Sciences Po Paris et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Directeur éditorial de Noria Research et éditeur scientifique, il a récemment dirigé Fragments palestiniens : pouvoir, territoire et socièté (REMMM, 2020), il a bien voulu répondre aux questions d’Enjeux.
Le tournant du 7 octobre 2023
Enjeux-UA : En quoi la séquence qui s’est ouverte le 7 octobre 2023 marque-t-elle ou non un tournant dans le conflit israélo palestinien ?
Xavier Guignard : le 7 octobre marque un tournant de par l’ampleur des opérations du Hamas, dont l’invasion de pans entiers du territoire israélien, les pertes civiles et militaires israéliennes ainsi que dans celle de la riposte par Israël, avec un niveau de destruction et de pertes humaines palestiniennes, d’abord à Gaza mais aussi en Cisjordanie, sans précédent depuis la guerre des 6 jours en 1967, voire depuis la première guerre israélo arabe en 1948.
Le 7 octobre signe comme un réveil brutal d’un conflit jusqu’alors de basse intensité. Si l’évènement marque en ce sens une rupture, il ne constitue par pour autant, aux yeux des historiens et sociologues qui travaillent sur le Moyen Orient, une réelle fracture avec la tendance générale d’un statu quo devenu intenable. La surprise se situe donc moins dans l’attaque que dans son ampleur et ses répercussions. Il y aura un avant et un après pour chacune des deux sociétés. Du côté israélien, enfoncé dans son déni de la réalité de la situation dans les territoires occupés depuis 1967, la tendance semble être à une adhésion massive à l’effort de guerre, et à la fin d’une certaine retenue dans les objectifs : désormais la perspective de déplacements massifs de populations palestiniennes vers l’Egypte ou la Jordanie constitue une option plausible et à débattre. Le durcissement de la position israélienne s’est par exemple traduit en juillet 2024 par le vote à une large majorité au parlement d’une résolution rappelant l’opposition trans-partisane à toute solution à deux États, ce qui augmente le risque de réduire cette solution au rang d’un mirage. Du côté palestinien, la solution à deux Etats semblait déjà dépassée et les quinze mois de guerre à Gaza ont rendu la perspective d’une cohabitation tout aussi irréelle. Avant le 7 octobre, le Hamas était divisé sur la possibilité d’accepter l’option d’un État palestinien dans les frontières de 1967. Si cette option avait les faveurs du bureau politique en exil, ce n’était pas le cas des dirigeants politiques et militaires de Gaza.
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Impact en Europe et aux États-Unis
Enjeux-UA : quel est selon vous l’impact de l’après 7 octobre dans les sociétés européennes et états uniennes ?
Xavier Guignard : Ce n’est pas mon domaine de recherche, mais la cause palestinienne n’est pas devenue une cause « de l’immigration ». Si les populations issues de l’immigration nord africaine et/ou de culture musulmane expriment leur solidarité depuis longtemps, ce qui est notable est plutôt le recul des organisations traditionnelles de la gauche, associative ou politique. Par ailleurs les manifestations pour la Palestine sont conditionnées par le contexte intérieur du pays, avec notamment depuis 10 ans des attentats visant des Juifs en France. Cela a sans doute compté dans les formes adoptées de solidarité avec les Palestiniens. Depuis une décennie, les interdictions de manifestations ou de rassemblement se sont multipliées, le mouvement BDS a été quasi criminalisé et tout ceci a pu « refroidir » les partisans d’une contestation légale et conforme au droit républicain. Par ailleurs, depuis les révolutions arabes de 2011, l’opinion s’est trouvée mobilisée sur d’autres questions, comme la question syrienne qui divise le mouvement de solidarité pour la Palestine entre soutiens et opposants au régime de Bachar El Assad.
Acteurs régionaux et mondiaux
Enjeux-UA : Les acteurs régionaux et mondiaux semblent avoir peu de prise sur les acteurs du conflit qu’il s’agisse du gouvernement israelien ou du Hamas : qu’en est il ?
Xavier Guignard : La première difficulté consiste dans l’existence de deux centres de décision du Hamas, or ceux qui mènent la guerre - la branche militaire - ne sont pas les mêmes acteurs que ceux négocient la trêve - la branche politique.
Du point de vue diplomatique, le gouvernement israélien a fait le choix d’une relation bilatérale presque exclusive avec les EU, et ceux ci ont opté pour un laisser faire octroyé au gouvernement Netanyahou face aux réserves que peuvent émettre d’autres puissances.
Le Hamas de Gaza vit, lui, en autarcie depuis 2007 et sa prise de contrôle du territoire, coupé du reste de la Palestine et du monde, en proximité avec l’Iran, et ses alliés régionaux comme le Hezbollah libanais ou les Houthis du Yemen. De son côté l’Autorité palestinienne se borne, si tant est qu’elle puisse et veuille faire autre chose, à contrôler sa propre population en Cisjordanie ; après sa défaite en 2006 aux élections législatives à Gaza face au Hamas, le Fatah a toujours refusé de céder le pouvoir. Toute perspective de réconciliation, pourtant demandée par beaucoup d’États de la région, est récusée tant par le Hamas que par le Fatah qui n’y placent pas les mêmes objectifs : pour le premier sa survie politique, pour le second un accord de reddition de son opposition islamiste. Les Emirats Arabes Unis n’ont aucune influence sur le Hamas, contrairement à la Turquie, au Qatar et à l’Egypte. L’Iran est aujourd’hui le seul interlocuteur étatique de leur branche armée, mais on ne sait pas quelles sont actuellement leurs relations. L’Iran est sur la défensive après la chute de son allié syrien et les coups portés par Israël au Hezbollah libanais. La Turquie est un peu pour les mêmes raisons sur d’autres sujets prioritaires dont la question kurde, elle tend d’ailleurs à opérer un certain rapprochement avec l’Union européenne face à la Russie de Poutine, sur la question ukrainienne, elle est ainsi ouverte à l’idée d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. L’UE est quant à elle le premier bailleur de fonds pour l’aide financière aux Palestiniens, elle constitue un marché très important pour le commerce israélien. Mais l’Europe est on le sait un géant économique doublé d’un nain politique.
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La France envisage désormais la reconnaissance de l’État de Palestine, pas franchi l’an dernier par l’Irlande, la Slovénie et l’Espagne. Les Européens restent pour les Palestiniens des interlocuteurs souhaitables pour éviter le face à face avec Israël soutenu par les EU, mais ils manquent de cohérence entre eux, et la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est entièrement tournée vers le conflit en Ukraine. Certes une conférence portée par la France et l’Arabie Saoudite sur la question de la Palestine entend réunir l’ensemble des soutiens à la solution à deux États à l’ONU, mais l’Europe, on ne peut que le constater, se refuse pour le moment à actionner les leviers dont elle dispose pour faire pression sur le gouvernement israélien. Quant aux Etats Unis, on a peine à comprendre les contours idéologiques de Donald Trump, totalement aligné sur le gouvernement Netanyaou, dans une logique là comme ailleurs de triomphe de la loi du plus fort, en l’occurrence Israël, au mépris des résolutions de l’ONU.
Pistes pour une paix durable
Enjeux-UA : Quelles pistes pour une paix durable, au-delà d’un cessez le feu ?
Xavier Guignard : Mon livre se veut un récit du conflit israélo palestinien dans la longue durée, sur un siècle maintenant. Je vois dans cette optique trois possibilités.
D’abord un scénario qui renvoie à 1948, c’est à dire à l’instauration d’une paix par l’absence du peuple vaincu, en clair le transfert massif des Palestiniens vers l’Egypte ou la Jordanie ; cette option reçoit désormais, après le 7 octobre, un soutien fort dans la société israélienne ; jusqu’ à présent absente des débats, elle est devenue dicible et possible.
Par ailleurs, en deuxième et troisième scénarios, le débat continue entre solution à deux ou à un Etat. Ce dernier cas de figure paraît aujourd’hui très difficile à ne serait ce qu’imaginer dans le futur proche. La bande de Gaza est ravagée, Jérusalem annexée, la Cisjordanie morcelée.
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L’État binational fut et reste une utopie des mouvements de Gauche, mais on ne voit pas bien, y compris avec ce qui relève d’une situation d’apartheid dans les territoires occupés depuis près de 60 ans, c’est à dire des droits différents en fonction de l’appartenance ethnique, comment elle pourrait devenir réalité.
Enfin, la solution à deux Etats ne fait aujourd’hui plus consensus dans les Etats-Unis de Trump, au grand plaisir gourmand de Netanyaou. Le scénario du « nettoyage ethnique » ne peut hélas plus être écarté aujourd’hui.
Propos recueillis par Matthieu Leiritz
