Femmes et conflits armés

Femmes et conflits armés : une analyse indispensable trop souvent négligée
Dans un contexte mondial marqué par la recrudescence des conflits armés - qu’il s’agisse des guerres en Ukraine, à Gaza, au Soudan, au Yémen ou encore en République démocratique du Congo, analyser avec précision les conséquences des violences guerrières sur la vie globale des femmes et des filles devrait être une priorité. Cette analyse ne relève pas d’un impératif moral ou humanitaire, elle est surtout une condition essentielle pour comprendre les dynamiques géopolitiques, sociales et économiques contemporaines de manière globale. Elle serait aussi une aide précieuse et indispensable pour penser les processus de paix juste et durable.
Les conflits armés affectent l’ensemble des populations civiles mais les femmes en sont touchées de manière spécifique souvent plus brutale et toujours disproportionnée. Victimes de violences sexuelles systémiques – les viols sont utilisés comme armes de guerre pour terroriser, dominer ou déplacer des populations - les femmes voient également leur accès aux besoins fondamentaux gravement restreint voire interdit : eau potable, soins médicaux, hygiène menstruelle, alimentation, protection pour elles-mêmes et leurs enfants, mais aussi éducation, emploi ou sécurité physique.
Des violences faites aux femmes exacerbées malgré leur rôle décisif dans les sociétés

Dans les camps de réfugié·es comme dans les villes assiégées, les femmes sont reléguées à des rôles de survie : elles doivent nourrir, soigner, protéger sans ressources ni véritable soutien institutionnel. La marchandisation du corps des femmes est toujours plus étendue sur les territoires en guerre, soit par une mise à disposition de femmes et filles pauvres qui concèdent à tarifer des actes sexuels aux militaires dans de grands « bordels » pour survivre et / ou faire vivre leur famille ; soit par l’exploitation pornographique du corps des femmes par les plateformes ; soit encore, par la mise en prostitution des femmes dans leur parcours d’exil. Les guerres n’accouchent pas de ces violences et de ces atteintes graves aux droits fondamentaux, mais elles s’appuient sur les structures patriarcales existantes et les aggravent. Violence domestique, viol et traite des êtres humains s’inscrivent dans un système patriarcal déjà en place qui s’exacerbe dans le chaos des guerres et rend les femmes et leurs enfants encore plus vulnérables. Pourtant, leur rôle dans la résistance civile et dans la reconstruction sociale est fondamental. Elles organisent les solidarités, maintiennent des formes de continuité de l’éducation lorsque c’est possible, elles prennent en charge la cohésion et les besoins premiers des groupes déplacés. Mais malgré cette implication décisive, elles sont quasi systématiquement exclues des négociations de cessez-le-feu, des accords de paix et des processus de reconstruction
Guerre et marchandisation des corps féminins : une réalité systémique
À chaque conflit armé une mécanique implacable est mise en place : celle de la marchandisation des corps féminins. Néanmoins, cette réalité structurelle est quasi systématiquement invisibilisée dans les récits officiels. De l’Asie du Sud-Est à l’Europe de l’Est, en passant par le Moyen-Orient ou le continent africain, les zones de guerre connaissent toutes, sans exception, une explosion des réseaux de prostitution et de production pornographique. Cette dynamique prend deux formes principales. D’un côté, des milliers de femmes sont déplacées vers les zones militaires où elles sont prostituées pour survivre. Beaucoup d’État sont d’ailleurs complices et sacrifient ces femmes au nom du “soutien” moral et sexuel des troupes masculines isolées, comme cela a pu être observé en Ukraine ou en ex-Yougoslavie. De l’autre, la paupérisation généralisée qu’entraîne la guerre pousse de nombreuses femmes restées sur place à échanger leur corps contre de la nourriture, un logement, des médicaments, ou même la simple promesse de protection. On assiste ainsi à une prolifération de contenus pornographiques mettant en scène des femmes issues de contextes de guerre ou de migration, parfois sans leur consentement, nourrissant une industrie mondiale florissante qui capitalise sur la vulnérabilité et la précarité.
La guerre en Ukraine : une explosion des violences sexuelles et de l’exploitation des femmes
Dans son rapport couvrant la période initiale de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a dénoncé les violences sexuelles commises et utilisées par les forces russes comme arme de guerre. Le 23 novembre 2023, une délégation ukrainienne de défenseuses des droits des femmes a été reçue à l’Assemblée nationale française. Leur constat était glaçant. Exposées à la traite et à la prostitution avant l’invasion russe, la guerre a considérablement aggravé leur vulnérabilité. L’Ukraine, qui constituait depuis des années une plaque tournante du trafic sexuel en Europe de l’Est est aujourd’hui un terrain de chasse pour proxénètes et trafiquants qui profitent du conflit armé, de l’exil et de la précarité des femmes pour renforcer leur emprise. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en 2023 on comptait 5,1 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine et 6,2 millions de réfugié·es - dont 90% étaient des femmes et des enfants. Parmi elles, les plus précaires, sont devenues les cibles privilégiées des réseaux de traite. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) alerte : les femmes ukrainiennes déplacées sont aujourd’hui dix fois plus exposées au risque de prostitution qu’avant le conflit. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Quatre mois seulement après le début de l’invasion russe, les recherches sur internet contenant les mots “escortes ukrainiennes” avaient augmenté de 300% en Europe et la demande de contenus pornographiques mentionnant « Ukraine » a bondi de 600%. Cette exploitation sexuelle basée sur la précarité accrue imputable à la guerre révèle l’ampleur d’un système de prédation qui prospère sur les ruines du conflit. Concernant les femmes et les filles exilées la situation est tout aussi alarmante. En Allemagne où la prostitution est légale et un an après le début de la guerre, le nombre de femmes ukrainiennes enregistrées dans les maisons closes du quartier rouge de Berlin avait été multiplié par cinq. Aujourd’hui, des hommes allemands achètent légalement des actes sexuels à des femmes réfugiées de guerre, exploitées par des proxénètes dans des établissements tolérés, voire régulés par l’État. Peut-on sérieusement croire que ces femmes fuient les bombardements, la perte de leur foyer, parfois la mort, pour “choisir” volontairement la prostitution dans un bordel allemand ? Ce système profondément inhumain révèle aussi une hypocrisie persistante dans les politiques migratoires et dans la régulation de la prostitution que certains prônent en Europe. Cette systématisation de l’exploitation sexuelle en temps de guerre pose un sujet majeur : les guerres impliquent toujours dans leur sillage un marché sexuel parallèle fondé sur la misère et la domination.
En conclusion,
Face à ces violences, face à cette exploitation systémique aucun féminisme cohérent ne peut se déclarer favorable au surarmement ou à la course aux armements. Car chaque guerre, au-delà des chiffres implique inéluctablement la destruction des vies les plus vulnérables : celles des femmes, souvent oubliées, toujours instrumentalisées. C’est au contraire la paix, la justice sociale et la protection réelle des droits humains – y compris ceux des femmes déplacées, exilées ou appauvries qui doivent guider les engagements féministe, syndical et politique.
Coralie Benech SNEP-FSU, Claire Fortassin SNES-FSU, Sigrid Gérardin SNUEP-FSU, Marie-Hélène Plard FSU-SNUIPP, Anne Roger SNESUP-FSU
